Face à la haine, quand allons-nous décider de nous salir les mains ?

Publié le 07/10/2022

La scène remonte à quelques semaines à peine. Elle s’est déroulée en direct sur CNews, dans Morandini Live, émission à laquelle j’ai la chance de participer de manière hebdomadaire en ma qualité d’associative, fondatrice de Mouvement pour l’émancipation des territoires (Mouv’ territoire). Garen Shnorhokian, l’ancien porte-parole d’Éric Zemmour, s’est fendu d’une définition du Français de souche. « Un Français de souche, a-t-il déclaré, c’est quelqu’un qui a plus de noms de sa famille sur les monuments aux morts que dans les registres de la CAF. » Des propos honteux, dont j’ai immédiatement dénoncé le caractère xénophobe et insultant – ce petit monsieur ne semble pas savoir que des soldats issus de colonies combattirent pour la France pendant les deux guerres mondiales, et méprise tout autant la mémoire de ceux d’aujourd’hui qui, issus de l’immigration, donnent leur vie pour la Nation.

A-t-on pour autant assisté à un vent d’indignation sur les réseaux sociaux, des personnalités, des politiques se sont-ils exprimés pour condamner ses propos ? Rien de tout cela. Les chiens humanistes aboient, la caravane de la haine passe sans hâter le pas. Circulez, il n’y aura strictement rien à voir. C’est une « banalité du mal » qui n’émeut plus personne, des propos devenus monnaie courante à l’heure des chaines d’info et des réseaux sociaux. Voici venu le temps du racisme comme libre opinion, du racisme exonéré de son caractère délictuel, barbotant à l’aise dans cette conception généreuse et dévoyée de la liberté d’expression, du chantage à sa disparition, qui sert la soupe à l’extrême droite la plus décomplexée. Comment en sommes-nous arrivés là ? Là, c’est-à-dire à l’avènement d’une scène comme celle-ci, et à un moment médiatique où la contradiction n'imprime pas, ne vaut pas pour véto.

A ces intellectuels, ces humanistes, ces progressistes et aux politiques de gauche qui, tout en se pinçant le nez devant le flot d’insanité qu’ils perçoivent depuis les chaines d’information continue, refusent de prendre part au débat, je voudrais dire mon indignation. En coulisse, ils me disent que « cela ne sert à rien », que « cela nourrit l’hystérie », ils m’expriment leur aversion à l’idée de se « salir ». Comment se fait-il que, par mépris, par condescendance, par soucis de sa personne, ils désertent les plateaux télé et laissent le petit peuple – moi, en l’occurrence – tenir tête à l’ennemi ? Quelle idée se font-ils de l’engagement en refusant de combattre les discours de haine ? Au nom de quelle France, de quel idéal républicain, de quelle conception de la citoyenneté peuvent-ils, enfin, se présenter comme humanistes ou comme intellectuels ?

Il est grand temps de se réveiller. En premier lieu, de tirer l’ex CSA devenu ARCOM (visiblement pour mieux disparaître), de la léthargie dans laquelle elle semble assoupie. Que les associations antiracistes reprennent les choses en main. De penser à de nouveaux dispositifs responsabilisant les canaux de diffusion de la haine. Le député écologiste Benjamin Lucas propose de passer de 5,5 à 90% la taxe sur les éditeurs de service de télévision en cas d’émission de propos d’une personne ayant fait l’objet d’une condamnation pour incitation à la haine, à la violence ou à la discrimination. Ce serait un début de réplique. A croire, pour le moment, que 89 députés RN à l’Assemblée nationale, cela n’alarme pas grand monde. A croire que la grande gueule de bois que nous aurons un jour, le lendemain de la présidentielle, nous la balayerons lointains, d’un revers de main, de peur de nous la salir.

Source : Rose Ameziane