La reconquête par le cœur

Publié le

Difficile de passer à côté de cette campagne violente à bien des égards. Les offenses et le mépris des petites phrases, des propositions toujours plus extrêmes exacerbent les avis tranchés et cette fameuse radicalité que l’on observe tant chez les candidats à l’élection que leur porte-parole sur les plateaux télé ou les supporters à travers les réseaux sociaux.

Dans ce brouhaha médiatique, la cible favorite que sont les quartiers populaires est décrite comme la cause de tous les maux des Français. Les quartiers, qui bénéficient d’un champ lexical belliqueux pour seule solution, comme si une guerre était inévitable. Ainsi fleurissent les « Brigades ou Quartiers de reconquête républicaine », les « Bataillons de la prévention », le déploiement de l’armée dans ces territoires sous forme de « Task Force » jusqu’à la création d’un parti politique « Reconquête ».

Soyons clairs, je ne nie pas les difficultés qui se trouvent dans les quartiers sur la question sécuritaire que sont la délinquance, le trafic de drogue ou les incivilités, et même la radicalisation. Au contraire, nous avons besoin de sécurité. Mais n’oublions pas que les difficultés des habitants des quartiers sont au-delà de cela ; nous parlons ici des autres formes d’insécurité, celle des logements insalubres, de la précarité de l’emploi, de la désertification médicale, des fermetures de classes, de la précarité alimentaire et énergétique, de désert économique et d’investissement, allant parfois jusqu’au désœuvrement social. Qui vient reconquérir ces cœurs- là ?

Mépriser les quartiers, c’est oublier que nous payons l’impossibilité des parents d’être à la fois au travail et à la maison. Oui, le travail est si mal rémunéré qu’il empêche même certains le droit d'être des parents dignes et responsables et c’est une honte de les laisser dans cette situation ! Pour d’autres, c’est aussi l’abandon parental d’enfants qui s'auto gèrent glissant dans une délinquance qui empoisonnent la vie des habitants. Il faut que cela s'arrête ! Qui parle de cette reconquête-là ? Celle qui rallie ceux qui se lèvent tôt à la République ? Où est la France qui récompense ses habitants qui ont été pour beaucoup ceux sur qui le pays a pu compter pendant les confinements ? Qui va venir reconquérir le cœur des citoyens que l’on laisse avec des fins de mois trop difficiles ? Cette jeunesse à qui l’on ne promet rien. Si ce n’est le rejet d’une part, la justification de leurs errances d'autre part. Quelle France aura le courage de les convaincre que notre pays ne peut être que plus beau si nous l’embrassons ?

Les quartiers, nous en sortons timidement, grâce à la méritocratie, en slalomant non sans séquelles entre les pièges du conservatisme qui sclérose son bon fonctionnement, faisant de nous les dommages collatéraux de la trahison du pacte républicain. Le traitement des quartiers nous concerne viscéralement, parce que nos amis, nos parents ou nous même parfois y sommes encore. En réalité, derrière la question des quartiers se cache celle de la diversité et de l'invisibilisation de ce que nous sommes.

Pourtant, je suis convaincu que le temps de la reconquête est effectivement venu, mais celle de la reconquête par le cœur.
Celle qu’il nous oblige d’une part à rappeler aux forces politiques que ces territoires sont aussi et viscéralement la France.
Consciente que l’actualité ukrainienne, comme l’a pu l’être la crise sanitaire du Covid ou la crise sociale des gilets jaunes ballait tout sur son passage, nous ne pouvons patienter sagement 5 ans de plus comme s’il n’y avait aucune urgence dans ces territoires.
Au-delà de la formule et des grandes promesses, aucun candidat à la présidentielle a un positionnement clair, une vision affirmée et un projet assumé pour ces millions de français.
Cette reconquête par le cœur elle exige de nous un engagement fort.
Et elle ne peut se faire dans le cadre d’une campagne stérile, où les débats seront esquivés, les rencontres orchestrées, et où les slogans et les punchlines frénétiquement relayés.
Nous méritons bien mieux, bien plus. Il en va de notre concorde nationale.

Source : Rose Ameziane